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La splendeur d’Akira Kurosawa – Une exposition

octobre 5, 2010

Dessine-moi Kurosawa.

On connaît déjà bien le réalisateur japonais pour sa carrière filmique prestigieuse et reconnue bien tardivement au Japon par l’honorifique Prix de Kyoto en 1994. Mais qu’en est-il du peintre?  Une exposition nous dévoile cette facette cachée du cinéaste et nous rappelle que Akira Kurosawa (1910-1998) fit ses débuts professionnels comme illustrateur dans une revue gauchiste de la Proletarian Artists’ League (1) dont il se détachera bien vite  avant même d’engager la carrière que l’on sait. Le jeune homme des années 20 voulait en effet devenir peintre. Encouragé pour son professeur dès l’école primaire, le jeune Kurosawa se lancera dans le dessin. En 1927,  à l’âge de 18 ans le déjà prodigieux artiste verra sa première exposition à la NITA Art exhibition (2). Il ne connaîtra pas le succès escompté et on ne peut en vouloir à son échec car nous n’aurions sans cela profité de ses fabuleuses œuvres cinématographiques.

Pour le centenaire de sa naissance une exposition est organisée au Musée de la Photographie de Tokyo du 4 septembre au 11 octobre 2010 (3). Cette exposition tourne autour de son œuvre picturale et plus particulièrement de ses story-boards, Kurosawa en a peint 2 000. Une centaine seulement seront à la vue du public, car ses œuvres sont bien gardées et cadenassées pour des raisons de copyright. Quand bien même la grande partie de ses œuvres appartient depuis 1953 au domaine public (4).  (Il est quasi impossible de voir ses dessins si ce n’est via Sothebys à moins d’être un acheteur, et sur internet la motion « sample » traverse ses images. Mais tout ceci est une autre histoire (5).

Si les films de Kurosawa sont détonants que dire de ses dessins qui mêlent encre, aquarelles, couleurs et contrastes. L’artiste sait manier les techniques comme la caméra c’est-à dire avec talent. Ces ouvrages se situent à la frontière entre l’ouest avec une manifeste influence de peintres comme Van Gogh ou Chagall (cf. images) et l’est du Japon mythologique des guerriers nous rappelant aussi que ses ancêtres étaient des samouraïs. Dans ses dessins « tout y est » : cadrages, lumière, costumes et jeux d’acteur, leurs émotions sont déjà là, le film semble tourné dans l’imaginaire de Kurosawa avant même d’être sur celluloïd, créant ainsi une véritable œuvre expressionniste bien malgré lui.  Il aura détruit une partie de ses premiers opus car disait-il, l’artiste doit se concentrer sur une seule chose, et pour lui ce sera le cinéma.

C’est avec « Kagemusha » (1980), titanesque projet pour l’époque, que l’idée lui vient de reprendre la palette, jusqu’alors il refusait de dessiner car selon ses dires « un artiste ne peut chasser deux lapins à la fois » (6). Il ne veut pas revivre un second échec et doit obtenir un financement s’il veut mener à bien son œuvre. Kurosawa ne savait comment exprimer ses idées. Ses dessins aux perspectives photographiques précises deviendront très vite un mode d’expression qu’il ne considérera jamais comme un art. Étrange que la carrière de cet homme. C’est par dépit qu’il abandonne le dessin qui ne lui permettait pas de vivre en ces temps de crise, et c’est par dépit qu’il reprend le pinceau pour obtenir des fonds et ce qu’il veut.

Ainsi ses story-boards sont de véritables études qui lui permettaient d’expliquer à son équipe ce qu’il voulait avec précision. Chaque photogramme étant décortiqué et mis sur papier avec soin, l’équipe connaît le résultat avant de commencer le tournage.  Il n’y a qu’à lire son autobiographie pour se faire une idée de son esprit pointu.

There are a multitude of things that I think of when I draw storyboards. The setting of the location, the psychology and emotions of the characters, their movement, the camera angle needed to capture those movements, lighting conditions, costume and props… Unless I think of the specifics of all those things, I cannot draw the picture. Or, perhaps it’s more accurate to say, that I draw the storyboards in order to think about those things.  In this manner, I solidify, enrich, and capture the image of each scene in a film until I see it clearly. Only then do I proceed with the actual shooting.” (7)

Mais comme tout réalisateur qui se respecte Akira Kurosawa manquait sérieusement de fond pour engendrer ses films. Ces dessins deviendront alors un formidable outil pour quémander l’argent nécessaire auprès des producteurs réticents et ainsi montrer la grandeur de ses projets. L’échec Dodeskaden (1970) restait sans doute fraîchement gravé dans les mémoires de l’époque et ce prodige fou gardait encore en lui la tentative de suicide qui s’en était suivie.

Il commencera donc avec « Kagemusha ». Le projet est immense pour l’époque, le budget colossal et représente $ 11 million de dollars US / 2,3 milliards de Yen (8) et bien sûr il manque aussi de conviction. Les dessins en disent longs (cf. images). En 1978 Kurosawa montrait ses illustrations à un certain George Lucas, qui impressionné, l’aidera à trouver une part du financement. Ces dessins et story-boards aideront par la suite à la promotion du film « Kagemusha » et une exposition leur sera consacrée aux USA et en Europe. L’épopée deviendra un succès et gagnera de nombreux prix comme la Palme d’Or 1980.
Le scénario se répétera pour « Ran«  (1985) et c’est Steven Spielberg cette fois qui convaincra la Warner Bros d’aider le directeur nippon. Les dessins là encore serviront la cause du cinéma.

Viendront ensuite les autres ouvrages « Yume«  (1990)  »  et « Madadayo » (1993) dont les dessins seront publiés dans un livre ce qui surprendra le directeur lui même qui ne considérait en aucun cas son œuvre graphique comme un art, mais un simple outil. Les producteurs l’avaient bien compris, Kurosawa a du talent et à défaut de monnayer ses films, ils pouvaient vendre ses dessins. Ce livre est toujours un best-seller (*).
De ses dessins, story-boards et écrits, est née cette exposition qui avait déjà fait une apparition en 2009 au Petit Palais de Paris (8) et au Musée Pera (9).

Akira Kurosawa a véhiculé le Japon comme objet de culture dans le monde. Par dépit ou opportunisme (rappelons ses premiers films de propagande et ses publicités pour « Suntory» **voir la vidéo et le site officiel), son choix était la toile, ce grand monsieur du cinéma qu’était Akira Kurosawa était voué à la carrière d’artiste et à la renommée internationale. Il aura fait connaître la culture japonaise au monde occidentale qui l’a adoptée grâce à son talent. Kurosawa était sans doute plus connu hors de son pays natal. Ses dessins montrent la minutie et la façon dont ce réalisateur avait de contrôler toutes les étapes d’un film dans ses moindres détails, élevant ainsi la réalisation au rang de concept et le directeur à celui de créateur mais le rendant aussi imperméable aux idées d’autrui. Une telle « dictature » dans le procédé créatif lui aura valu le surnom d’empereur.

Cette exposition est en ce moment à Tokyo et jusqu’au 11 octobre 2010 au Musée de La Photographie et sera accompagnée de conférences ainsi que de projections de films.

Bonjour chez vous.
Caroline

(1) http://muse.jhu.edu/login?uri=/journals/positions/v014/14.2kida.html
(2) http://www.kurosawa-drawings.com/page/27
(3) http://syabi.com/e/contents/index.html
(4) http://akirakurosawa.info/2006/07/12/pre-1953-japanese-films-are-in-public-domain/
(5)  Le 2 avril 2007 la Tōhō a déposé une plainte contre la société Cosmo Contents concernant la distribution des œuvres de Kurosawa. Le jugement permettra d’établir si les films d’Akira Kurosawa antérieurs à 1953 sont dans le domaine public ou pas. La cour du district de Tōkyō a rendu son jugement le 14 septembre 2007, établissant que les œuvres d’Akira Kurosawa ne seront dans le domaine public qu’à la fin de la 38e année après la mort de l’auteur, c’est-à-dire le 31 décembre 2036 public. (de http://fr.wikipedia.org/wiki/Akira_Kurosawa#cite_ref-0)
http://akirakurosawa.info/2007/04/02/toho-sues-cosmo-contents-for-selling-dvds-of-kurosawas-early-works/
(6)  » Something Like An Autobiography » Akira Kurosawa
(7) http://vagabondscholar.blogspot.com/2008/12/kurosawa-exhibit.html
(8) http://www.artscape.fr/akira-kurosawa-dessins-petit-palais/
http://www.petit-palais.paris.fr/fr/expositions/akira-kurosawa-dessins
(9) http://en.peramuzesi.org.tr/exhibitions/detail_past_exhibitions.aspx?SectionId=olW%2BpD0YpZIB34LO5UxDyg%3D%3D&ContentID=rPwjoFYmRQ0rMxBlu6kOew%3D%3D

liens
http://en.wikipedia.org/wiki/Akira_Kurosawa
http://www.imdb.com/name/nm0000041/

article de Ingmar Bergman sur Kurosawa en Anglais
http://www.ingmarbergman.se/universe.asp?guid=2E2291EF-1288-4A78-9510-B00F0F1D4CDB

(**la vidéo Suntory avec Kurosawa:)

[Je vous l’avais promis dans l’article précédent, voici le retour de la Cinémousson..!]

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