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Detective Dee et le Mystère de la Flamme Fantôme (Di Ren Jie Zhi Tong Tian Di Guo 狄仁傑之通天帝國) de Tsui Hark (Chine-HK/2010/123’/RED/35mm/2:35/Couleur/Dolby Digital/Mandarin/VOstFr/Huayi Brothers Media/Cat. IIB)

avril 9, 2011

Le dernier film (en tout cas le dernier sorti en France, vu qu’il en a fait d’autres depuis) d’un grand cinéaste hongkongais en avant-première à Paris, impossible que je le manque.
Detective Dee de Tsui Hark au Forum des Images, c’est que du bonheur, la dernière fois que j’ai pu voir au ciné en France un film made in Hong Kong, c’était Dream Home au même endroit. La rareté donne une saveur supplémentaire au cinéma de l’ancienne colonie anglaise.
Mais cette fois-ci, ce n’est plus Hong Kong, mais bien la Chine continentale qui est derrière Tsui Hark et ce film grandiose et véritablement magnifique.
Detective Dee est présenté en salle 500 par Hubert Niogret, dans le cadre des avants-premières mensuelles proposées par le magazine Positif au Forum des Images.
Tsui Hark, cinéaste hongkongais d’origine vietnamienne, est une grosse star en Asie du Sud-Est, mais reste étrangement méconnu en France, malgré le fait qu’il réalise depuis plus de 30 ans (et plus d’une quarantaine de films à son palmarès).
Fer de lance de la Nouvelle Vague hongkongaise (*), et surtout cinéaste indépendant (à Hong Kong où le cinéma est quasi exclusivement commercial), ce n’est pas la première fois qu’il se frotte au cinéma fantastique avec succès, et plus particulièrement au wu xia pian fantastique (Butterfly Murders, Zu Les Guerriers de la Montagne Magique et sa suite, The Blade, Histoire de Fantôme Chinois, Green Snake, The Magic Crane, L’Auberge du Dragon, Swordsman, The East is Red, Seven Swords) qui jalonne son oeuvre filmique et lui a apporté ses plus grands succès.

Mais Hubert Niogret fait une nette distinction entre les cinémas hongkongais et chinois, en mentionnant notamment l’intérêt que peut présenter la Chine (main d’oeuvre moins chère, plus large public, studios plus grands et mieux équipés, et surtout décors naturels majestueux et diversifiés alors que l’espace à Hong Kong est très limité et qu’on y tourne souvent dans les mêmes décors devenus mythiques et récurrents) pour les cinéastes hongkongais limités sur  leur île.
Detective Dee est donc un film chinois avec l’habituelle lecture politique en sous-texte et des moyens faramineux, mais cela n’empêchera pas Tsui Hark de nous délivrer un spectacle grandiose et une histoire passionnante, au centre de laquelle on trouvera le concept de Jiang Hu (monde imaginaire entre la mythologie et la réalité des chevaliers errants, un thème important et récurrent chez Hark et dans le cinéma hongkongais, comme nous l’explique Hubert Niogret) et son lot de complots, de trahisons, d’exploits héroïques, d’enquêtes astucieusement menées, de mystère, de magie et évidemment de kung fu. L’histoire est vaguement inspirée des aventures du Juge Ti, personnage littéraire redécouvert en Occident par Robert Van Gulik.

Résumé:
En 690 de notre ère, à quelques jours du couronnement de l’impératrice Wu Zetian (Carina Lau Ka Ling), des phénomènes étranges se succèdent, provoquant la mort de hauts dignitaires. Pour maintenir l’équilibre du royaume, l’impératrice décide de faire appel au seul homme capable de résoudre cette enquête, Detective Dee (Andy Lau Tak Wah), alors qu’elle l’avait fait jeter en prison huit ans plus tôt. Revenu dans le monde des vivants alors qu’il pensait être promis à la mort, Detective Dee doit déjouer toutes les intrigues de pouvoir et surmonter les pires embûches pour mener à bien sa mission.

On est déjà époustouflé dès le début du film: pendant un générique aux titres qui disparaissent en s’enflammant, on découvre l’immense et magnifique ville de Luoyang, capitale impériale de la dynastie des Tang, et une statue colossale de Buddha (avec force effets numériques). En quelques vertigineux mouvements de caméra, on découvre la construction gigantesque et sa machinerie impressionnante, tout comme cet émissaire occidental venu visiter le chantier (Jean-Michel Casanova). Mais le chef des travaux a déplacé des bannières sacrées protectrices du lieu offertes par un mystérieux prêtre, et malgré les avertissements de son contremaître (génial et ambivalent Tony Leung Ka Fai) de les remettre en place, il s’éteindra dans d’atroces souffrances, ou plutôt s’allumera (puisqu’il meurt d’une combustion spontanée assez impressionnante et son cadavre fini en cendres brûlantes qui tombent dans le chantier). Une enquête est ouverte, mais en vain, puisque la même mort mystérieuse frappe encore, jusqu’à ce qu’un Cerf Sacré à la voix douce vienne délivrer une prophétie qui mentionne le dissident Detective Dee, seul capable de rétablir l’ordre et de régler les problèmes avant l’intronisation de l’impératrice Wu, première femme à diriger le vaste empire de la Chine ancienne.

Pour lutter contre les superstitions et rétablir une vérité raisonnable et rationnelle, voici donc le héros du film, le charismatique Andy Lau Tak Wah, fin limier et magistrat déchu, car il a fomenté un complot contre l’impératrice Wu quelques années auparavant. On le retrouve donc dans des geôles très particulières, où tous les rapports et écrits de la Cour sont consignés puis détruits par le feu.
La séquence de présentation de ce personnage est vraiment excellente. On découvre notre héros aveugle avec un vieux prisonnier lui aussi aveugle qui vont brûler des documents dans un brasier.
Ils remarquent soudain des présences hostiles qui ne tardent pas à se manifester et à les attaquer. Le combat qui s’ensuit est magnifique (c’est le premier du film et celui qui présente le héros), car Dee, en plus de contrer les assauts de ses ennemis envoyés pour l’assassiner, doit protéger son vieil ami aveugle, tout en se servant de lui pour occire les attaquants suicidaires qui préféreront mourir plutôt que d’échouer (on apprendra en plus à la fin de cette scène que Dee n’est pas aveugle et que ce n’est qu’une façade). La chorégraphie n’est pas signée par n’importe qui comme on le verra plus tard, et ce combat éblouissant annonce ceux qui vont suivre. Car évidemment un wu xia pian sans kung fu n’en est pas un, et Tsui Hark sait parfaitement distiller de magnifiques chorégraphies aériennes et esthétiques dans la narration de ses films en y mêlant en plus magie noire et illusions. Notons d’ailleurs que malgré la complexité de l’histoire et ses nombreux rebondissements, on sent pour une fois que le cinéaste ne se perd pas dans des digressions et des apartés qui donnent un certain aspect brouillon et inabouti à beaucoup de ses films, même les meilleurs (le scénariste taïwanais Chen Kuo Fu et les commanditaires chinois doivent y être pour beaucoup dans la canalisation de Tsui Hark et son goût pour la subversion, le bordélique, l’extrême).

Pour revenir aux scènes de combats, on a droit à de beaux moments d’arts martiaux qui raviront les amateurs du genre (concours d’officiers pendant la première rencontre entre Dee et l’impératrice, scène de l’attaque par une pluie de flèches qui transpercent une cabane après un mini duel de séduction sensuelle, la scène des piliers qui sortent de l’eau contre le mystérieux prêtre qui se fragmente et se dédouble dans les cavernes du Marché Fantôme, scène qui fait écho au combat de poutre sous la pluie d’Il Etait une Fois en Chine, le duel contre Jing Er au temple du mystérieux prêtre avec les cerfs kamikazes et des techniques de kung fu magique incroyables, et enfin le final dans la statue véritablement impressionnant), en particulier lorsque Dee récupère son bâton de juge incassable et censé trouver les failles de n’importe quelle arme pour la briser.

Mais l’enquête et son évolution prennent aussi une place importante dans le métrage, et les péripéties de notre habile héros nous emmèneront dans des décors somptueux et grandioses, que seule la Chine peut offrir (je pense notamment au mystérieux et mal famé Marché Fantôme encastré dans des gorges immenses avec ses musiciens à quatre bras, ses canaux interminables et ses cannibales dans lequel on découvrira Wang la Mule interprété par le vétéran Richard Ng qui se transformera plus tard en Dr Wang/Teddy Robin Kwan grâce à sa technique de transfiguration qui lui permet de changer de visage, le décor du temple du grand prêtre et ses nombreuses statues en pleine forêt, les salles immenses du palais impérial, les scènes d’extérieur très animées avec des centaines de figurants, sans oublier bien sûr le Bouddha géant en construction et son chantier intérieur avec ses nombreuses passerelles, ascenseurs et surtout son pilier central autour duquel tourne le mystère). Car Dee n’a pas été appelé pour rien, son esprit ingénieux résoud le mystère petit à petit. Grâce à un oiseau en cage qui prend feu et un mélange mis au soleil, il découvre que le poison est activé par la lumière solaire, et que les insectes capables de faire ça ont normalement disparus. Mais ce n’est pas la seule raison de sa présence.

Ancien dissident et ennemi politique de l’impératrice Wu, celle-ci fait aussi appel à lui pour mieux le contrôler et le manipuler, et le scénario tortueux nous balade de complots en magouilles politiques. La première piste qu’il suit l’emmènera dans les mensonges et trahisons des hautes sphères politiques. L’impératrice Wu (incarnée par une Carina Lau élégante, froide, littéralement impériale) est la première femme de l’histoire à gouverner l’immense empire chinois, et ce ne semble pas une mince affaire face à la misogynie du système et des pensées. Ainsi sa cruauté politique et sa capacité à manipuler tout le monde à sa guise semblent s’expliquer, comme elle le raconte à sa fidèle suivante Jing-Er (magnifique Li Bing Bing) qui finira tiraillé entre son amour pour l’impératrice et les sentiments qu’on éveillé Dee en elle. Carina Lau est excellente dans ce rôle de femme seule contre tous dont la volonté l’a amené là où elle est, rôle qui cristallise à lui seul toute la dimension politique de ce film (il faut régner d’une main de fer pour ne pas que nos opposants nous détruisent, mais la justice doit être une notion suprême et prioritaire pour gouverner comme lui conseillera Dee à la fin). Elle sera prête à tout, même à trahir ses proches, mais Jing-Er (dont la personnalité se complexifie au fur et à mesure du film) ne pourra malgré tout se résoudre à tuer Dee, et demandera à l’agonie à son impératrice de glace si elle a déjà aimé une fois et si ça valait le coup.

Mais ces complots digressifs n’ont pas éludé l’énigme de la flamme fantôme, et le mystère autour des combustions spontanées reste entier. Le jeune prêtre albinos Donglai (Deng Chao plein de rage et de suspicion) finira par avoir la puce à l’oreille à cause des plans de construction de la statue colossale, mais sera brûlé vif par un mécanisme actionné involontairement par Dee venu le sauver ce qui lui laissera juste le temps d’attirer son attention sur la chantier de la statue et surtout son pilier centrale qui recèle la clé de l’énigme. Je ne vous en dirai pas plus pour ne pas gâcher le final époustouflant dans la statue car le traître n’est jamais celui qu’on croit et nous fera oublier toutes les malversations de la méchante impératrice (puisque c’est elle qui est visée dans un sombre complot).
Du gros spectacle qui vous en mettra plein les yeux, on aime ou pas qu’on connaisse ou non le cinéaste, mais il faut bien avouer qu’il envoie du pâté.

Le casting est truffé de stars (Andy Lau et Carina Lau à nouveau face à face après Nos Années Sauvages, Li Bing Bing, Tony Leung, Deng Chao, Richard Ng et Teddy Robin Kwan), les combats sont réglés par Sammo Hung Kam Bo, ce qui en fait une valeur sûre en ce qui concerne les chorégraphies et scènes d’action de ce film. Sammo Hung est une sommité dans le monde des arts martiaux au cinéma (l’égal de Yuen Woo Ping beaucoup plus connu en Occident), et il est logique que Tsui Hark fasse appel à cet orfèvre de la chorégraphie, après avoir collaboré ensemble sur quelques projets (The Banquet, Zu et Legend of Zu, Once Upon a Time in China and America).
Et n’oublions pas les nombreux effets numériques et maquettes (dont certaines piquent un peu les yeux), dont l’utilisation permet de donner plus l’ampleur à ce film démesuré tourné en RED.
Pour finir, saluons le fracassant retour de Tsui Hark, avec cet excellent film qui prouve que le cinéaste a encore beaucoup à nous montrer (et soulignons d’ailleurs que sa tendance au serial comme avec Il Etait une Fois en Chine est toujours là, puisque la fin annonce une suite qui semble programmée). Detective Dee sera sur nos écrans en France le 20 avril et je vous conseille de ne pas louper ça.

http://www.imdb.com/title/tt1123373/
http://hkmdb.com/db/movies/view.mhtml?id=13855&display_set=eng
http://www.hkcinemagic.com/fr/movie.asp?id=11251
http://www.ed-wood.net/films-2011.htm#hark
http://www.ecranlarge.com/movie_review-read-19693-91711.php
http://en.wikipedia.org/wiki/Detective_Dee_and_the_Mystery_of_the_Phantom_Flame
http://www.excessif.com/cinema/critique-detective-dee-6216271-760.html
http://www.arte.tv/fr/mouvement-de-cinema/La-Mostra-de-Venise-2010/3409670.html
http://www.plan-c.fr/article-critique-detective-dee-de-tsui-hark-71230559.html
http://www.toutlecine.com/cinema/l-actu-cinema/0001/00019575-detective-dee-un-empereur-nomme-tsui-hark.html

Eddie, le 9 avril 2011.
(film vu le 22 mars 2011)

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