Aller au contenu principal

Rubber de Quentin Dupieux (France/2010/85’/HD/projection 35mm/1:85/Couleur/Dolby Digital/anglais/VOstFr/Realitism Films)

février 6, 2011

[Après Dream Home et L’Infernale Poursuite, une troisième critique d’un film vu à l’Etrange Festival au Forum des Images en septembre 2010]

Rubber c’était le gros film français de l’Etrange Festival 2010, avec une séance unique et attendue, dans une salle 500 pleine à craquer, en présence « officiellement officieuse » du réalisateur qui semblait ne pas être là (ou peut être que si hinhin). Décidément, Rubber a fait du buzz. Il faut dire qu’une histoire de pneu serial-killer et télépathe réalisée par Mr Oizo (Quentin Dupieux est plus connu sous ce nom là), ça attire l’attention. Il y avait tellement de monde, que j’ai failli ne pas entrer. Heureusement, en remplissant la salle, on s’aperçoit qu’il reste encore 10 places, et moi j’attendais dans la file d’attente qui s’était vidée. J’ai donc eu ma place « Last Minut » pour me retrouver sur le bord au second rang. Un écran en trapèze, mais bon, j’ai presque l’impression d’être un privilégié, de voir en « avant-première » ce film dont tout le monde parle et qui ne sortira que le 10 novembre 2010 en France (oui je sais, critique en retard).

C’est vrai que ça fait un moment que ce film avec un pneu pour héros m’intriguait (le webzine 1kult.com en parlait dans plusieurs articles-1), alors l’Etrange Festival était une bonne occasion d’aller voir cette curiosité cinématographique.
En tout cas, le film à l’air d’avoir emballé les programmateurs, puisqu’on nous le présente comme le « film symbole de l’Etrange Festival, une sorte de The Hitcher avec un pneu ayant pris la place de Rutger Hauer » (belle comparaison).
Le film commence enfin à 19h50, et le producteur Grégory Bernard au générique fait bien marrer la salle (comme quoi, il en faut peu pour être heureux*).

Résumé:
Dans le désert californien, des spectateurs incrédules assistent aux aventures d’un pneu tueur et télépathe, mystérieusement attiré par une jolie jeune fille (Roxane Mesquida). Une enquête commence.

Ça commence comme du cinéma expérimental, poignées de jumelles dans une main au premier plan et chaises alignées aléatoirement sur une route de désert. Une voiture de police arrive au loin et s’approche doucement de la caméra en faisant basculer certaines chaises. Un flic (Stephen Spinella) en sort (du coffre ?) et vient nous raconter face caméra qu’il n’y a jamais de raison au cinéma (« No reason »), exemples de films à l’appui (genre « pourquoi dans Le Pianiste, le mec vit comme un paria alors qu’il joue trop bien du piano ? No reason », et plein d’autres citations que je ne listerai pas ici). « Tous les grands films contiennent plein de No reason ». Ok, donc pas non plus de raison à tout ça, et aussi un peu à ce qui va suivre (quelle raison à ce film ? nous demande le film lui-même. C’est donc ça le méta-cinéma). Après cette tirade hommage au No Reason (cela dit en passant cette scène est vraiment marrante), on aperçoit enfin le contre-champ, un groupe de spectateurs hétéroclites à qui s’adressait le shérif (d’où le regard caméra, puisqu’il s’adressait à nous, et là je dis attention mise en abyme vertigineuse), et à qui l’on donne les paires de jumelles du premier plan d’ouverture (finalement les choses ont un sens) afin de mieux admirer le spectacle que Quentin Dupieux et son personnage principal (Robert pour les intimes) vont nous offrir.

« C’est déjà chiant » dit un gamin direct, pendant que ce public-miroir regarde avidement le désert. On ne voit le contre-champ de ce qu’ils regardent qu’au moment ou l’un(e) d’eux croit voir quelquechose « Y’a rien… si je vois une décharge là-bas ! », hop l’image vient appuyer les mots, et notre histoire (celle que nous attendons spectateurs badauds et passifs) commence enfin. Robert (Rubber ?) prend vie et sort enfin d’un tas de sable et de décombres, après un générique sur la décharge avec des pneus qui crament (images traumatiques de charnier qui reviendront), et nous emmène dans sa ballade mysticopathe. Gros plans et macros sur les striures du pneu qui se déplace gauchement occupant une grande partie du cadre, flares du soleil couchant du désert américain, musique cool ambiance électro, pour une séquence onirique et légère. On se prend à suivre ce pneu qui devient vivant à l’écran (c’est la plus grande force de ce film. Quentin Dupieux arrive à nous faire gober ça et on accepte totalement ce bout de caoutchouc comme un personnage de cinéma), mais on regrettera assez tôt la redondance et la répétition de ces séquences finalement un peu faciles (un pneu qui roule dans plusieurs valeurs de cadres différentes dans un décor de désert avec de la belle musique derrière) et puis très vite longues et peu utiles (si ça rajoute du métrage, et à la fin on arrive à 1h20 et on peut diffuser en salles).
Bienvenue dans le méta-cinéma, où le sens se délecte de lui-même et n’existe qu’en dehors de lui-même (insensé comme cette phrase). Ça peut être intéressant, comme ça peut être super chiant (comme le remarque d’ailleurs pertinemment l’enfant parmi le public au début).

Alors si, avouons le, on a droit à quelques beaux moments de fulgurance cinématographique qui sont vraiment intéressants: un des spectateurs qui filme et se fait rappeler que le piratage est interdit, les interventions des protagonistes du film, souvent eux-mêmes spectateurs et témoins (interventions nombreuses certes, mais nécessaires à remplir le film et le faire avancer), le coup du poison dans la dinde qu’on donne à manger aux spectateurs –qui dorment aussi quand la nuit tombe et bouffent comme des sauvages « C’est comme ça qu’on traite les spectateurs !? »- et qui s’empoisonnent pour finir le film plus vite : il n’y a plus de spectateurs donc plus besoin de spectacle. Idée qui va entrainer une scène absolument géniale où le shérif essaie de convaincre les autres acteurs que tout ça n’est qu’une illusion, qu’ils sont dans un film et que tout est faux. « This is real life !!! Arrêtez de jouer un rôle ! -Mais le cadavre est bien mort.-Mais non mettez lui des claques elle va se réveiller…- Elle n’a plus de visage… », le shérif doit même se faire tirer dessus pour leur prouver cette mascarade, jusqu’à ce que l’« organisateur » du film le prévienne qu’un des spectateurs (le vieux renard baroudeur en fauteuil roulant) n’a pas mangé la dinde, est encore en vie, et regarde encore le « film », donc il faut le continuer (et oui, d’où le cadavre, donc tout n’est pas qu’illusion, et il y a quand même du vrai cinéma dans tout ça).

On croyait que c’était fini, mais heureusement qu’un figurant/spectateur malin a flairé le piège. Et c’est vrai qu’à partir de là (tout est dans cette scène excellente, tellement mise en abyme qu’elle se regarde elle-même), on commence à flairer aussi un piège, et on se dit que notre réalisateur est aussi pris de court et ne sait plus trop quoi raconter, et que la suite va être plus ou moins brodée, calée sur les errances de notre cher pneu (qui commence à devenir de plus en plus chiant en super gros plan).
La réussite du film tient à ça : donner une substance à ce pneu, en lui insufflant une « âme », un caractère bien particulier. Il faut dire qu’il est quand même attachant ce petit pneu caractériel et méchant, dès le début, lorsque il écrase une bouteille en plastique puis un scorpion, jusqu’à ce qu’une bière en verre lui résiste et qu’il se découvre des pouvoirs télékinésiques (sinon comment voulez vous mettre en scène un pneu karatéka ou tueur en série, sans bras ni jambes ?). Il éclatera ensuite un lapin et plus tard un corbeau, et fera exploser tout ce qu’il va croiser. Mais les humains seront une cible de choix pour sa vengeance, comme l’indique ce flashback traumatique lorsque Robert voit une voiture et se souvient de sa famille qui a cramé dans un accident ou une décharge (boum !, la tête du type qui vient de le renverser).

Il y a aussi la présence de la jolie Roxane Mesquida et son mauvais anglais, qu’on va devoir mettre dans une scène de douche pour tenter d’augmenter le niveau. Robert va tomber amoureux d’elle (évidemment), et sera bien déçu (il la mate sous la douche et se fait virer, et puis entre elle et un pneu, c’est définitivement un amour impossible).
On termine sur une fin d’apothéose de non-sens (parce qu’ils ont quand réussi à découvrir que c’est un pneu le coupable, malgré les têtes de témoins explosées). Ils échafaudent un plan idiot pour piéger Robert avec un mannequin, alors que le dernier spectateur intervient violemment (« Y’a pas de fin, je regarde quand même! » ou « C’est de l’arnaque! »), mais s’empoisonne tout seul bêtement. Au final, le flic fera tout péter pour régler le problème, tuer ce sale pneu, et surtout finir ce putain de film.
Robert le pneu se réincarnera en tricycle et partira avec son gang de pneus qui le suivent vers l’horizon (y’a marqué Hollywood même), sur une dernière musique vraiment chanmé.

Un gros film foutage de gueule, disons-le sans méchanceté, puisque c’est le but avoué de manière explicite. Il dure 1h25 (trop long ou pas assez), on aurait pu se contenter d’un moyen métrage, cependant Mr Oizo est allé jusqu’au bout de son délire (c’est respectable), mais on sent quand même un peu qu’il tire le temps pour être exploitable et passer en salles (énormément de plans inutiles sur le pneu qui roule ou qui fait rien, ou de digressions marrantes sur le fait de voir un film pour morfler et se faire chier. Ça va un moment, mais ça peut devenir lourd). Il s’essouffle rapidement, on comprend très vite où il veut en venir, sans même qu’il cherche vraiment à aller plus loin.
Mais ne faisons pas la fine bouche, du cinéma comme ça, c’est aussi essentiel (c’est le battage autour qui fait pitié et qui me gêne, parce qu’au final, on a vraiment l’impression qu’on se fout de notre gueule, et oui ça aussi c’est de l’art).
Aller voir Rubber pour vous faire une idée, ça mérite quand même un coup d’oeil.

(1)
http://www.1kult.com/2010/04/20/rubber-le-premier-teaser/
http://www.1kult.com/2010/05/16/1kannes-episode-3/
http://www.1kult.com/2010/06/15/quentin-dupieux-itwvideo/
____
http://www.rubberfilm.com/
http://gonzai.com/rubber-pneu-viande
http://www.imdb.com/title/tt1612774/
http://www.bloody-disgusting.com/review/4873
http://www.mad-movies.com/forums/index.php?showtopic=27769
http://acrossthedays.com/2010/05/06/rubber-de-dupieux-extrait/
http://www.1kult.com/2010/05/25/rubber-quentin-dupieux-special-cannes/
http://cinema.fluctuat.net/blog/43831-rubber-la-bombe-theorique-de-quentin-dupieux.html
http://omnibus-cult.over-blog.com/article-news-rubber-de-quentin-dupieux-coming-soon–44029108.html
http://cinema.fluctuat.net/blog/43412-la-semaine-de-la-critique-2010-mr-oizo-et-autres-curiosites.html
http://www.premiere.fr/Cinema/News-Cinema/Video/VIDEO-Cannes-2010-Quentin-Dupieux-Rubber-c-est-un-film-pirate-/%28gid%29/2323252
http://www.letemps.ch/Page/Uuid/ce68825a-a3f3-11df-a288-853cb2c8f4f8/Quentin_Dupieux_juste_un_pneu_d%C3%A9jant%C3%A9

(*entendons par là qu’il suffit de pas grand-chose pour contenter le cinéphile des années 2010… ?)

Eddie, le 6 février 2011.
(film vu le 11 septembre 2010)

Laisser un commentaire